
Argent, rêves et désillusions : Romain Molina dissèque les méandres du football africain
Le 14ème webinaire organisé par Carréfoot a accueilli Romain Molina, journaliste indépendant, écrivain et conférencier, fin connaisseur du sport africain. Modéré par les analystes Stéphane AHOA et Augustin GBEMENOU, l’échange a exploré sans tabou les réalités souvent dissimulées du football africain autour du thème : « Argent, rêves et désillusions : plongée dans les méandres du football africain ».
Une passion exigeante et une CAF sous perfusion
Molina a d’abord expliqué les raisons de son engagement : « Par amour. Je trouve que c’est aberrant qu’on puisse utiliser la passion des gens à des fins personnelles. » Il insiste sur l’exigence de son métier, qu’il exerce avec le même intérêt, que ce soit en France ou à Djibouti. Concernant la gestion financière, il pointe la précarité des fédérations et la non-assurance de la pérennité des infrastructures. Selon lui, la CAF a perdu son indépendance financière en abandonnant certains partenaires pour des promesses de la FIFA qui ne se sont jamais concrétisées. Les fédérations ne diversifient pas leurs revenus et demandent des financements pour des projets inexistants. « Le premier responsable de tout ça, c’est la FIFA. Les deuxièmes, c’est beaucoup de dirigeants africains qui sont complètement soumis. », précise t-il.
Il évoque aussi les matchs truqués dans l’Est de l’Afrique et les investissements inutiles, comme le projet rwandais : « Le Rwanda paie des milliards en Europe chaque année alors qu’ils n’ont même pas un sponsor officiel pour leur championnat. » Toutefois, il salue les progrès réalisés au Maroc, notamment en matière de pelouses et de stades avant de critiquer fermement l’idée de la FIFA de faire passer la CAN à une fréquence de quatre ans : « Si tu enlèves la CAN tous les 2 ans, la CAF, elle est morte financièrement. C’est ce qui maintient la CAF en vie. »
Pressions, répression et absence de souveraineté
Sur les pressions subies, Molina affirme que « beaucoup de journalistes et d’acteurs du football ont du mal à parler » et que la FIFA ne souhaite pas que « l’autre face soit révélée ». Il cite son propre cas pour montrer l’aspect mondial du souci : « Moi, pour avoir publié ce que j’ai publié, j’ai été boycotté. J’arrive à avoir de meilleurs dialogues avec des dirigeants en Afrique qu’en Europe. » Il dénonce aussi le racisme subi par plusieurs joueurs noirs dans le Maghreb, sans soutien des dirigeants. Plus loin, il se souvient des cas de force majeure : « Dans le cas du Bénin, c’est allé plus loin. On parle de garde à vue parce que les joueurs réclamaient leur salaire. »
Élections opaques et conflits institutionnels
Sur la gouvernance, il critique les élections opaques : « 16 jours après l’élection, toujours pas de procès-verbal. C’est impossible que les élections ne soient pas réorganisées parce que les éléments sont graves. Elles seront refaites tôt ou tard. » Il appelle aussi à « professionnaliser les textes de la CAF ». Le journaliste indépendant a aussi évoqué les conflits entre fédérations et ministères, citant le Cameroun avec Eto’o, la Centrafrique et le Congo-Brazzaville. Il regrette les conséquences sur les clubs et la cohésion nationale, tout en saluant Eto’o : « C’est l’un des rares présidents de fédération qui s’occupe du football local en Afrique. » Quant aux infrastructures, il recommande de « privilégier la sécurité et l’hygiène plutôt que le nombre de places », en tenant compte des réalités économiques de pays comme le Tchad ou le Burundi.
Trafic de jeunes, faux agents et espoirs émergents
Le développement du football africain est freiné par des systèmes opaques et des réseaux de corruption bien établis. Romain Molina n’a pas mâché ses mots. Il parle de réseaux de coalition Europe-Afrique et de « trafic d’humains » : « J’en connais qui sont en Europe, en Grèce ou en Espagne et qui n’ont plus de passeport. » Ces jeunes, souvent issus de familles endettées, se retrouvent piégés, sans recours, dans des pays étrangers. Malgré son gros regret pour la disparition de clubs formateurs comme l’ASEC Mimosas d’antan, il salue l’émergence de centres comme Diambars au Sénégal et Horoya, porteurs d’une nouvelle vague. L’investigateur n’a pas manqué de pointer du doigt l’incompétence à certains postes des instances du football : « Quand la fédération sénégalaise est incapable d’enregistrer correctement le passeport sportif de Nicolas Jackson et que ça prive les chefs sénégalais de centaines de milliers d’euros, c’est impossible d’être aussi incompétente. »
Pour conclure, Molina a répondu aux questions des internautes et adressé une mention spéciale à Carréfoot après environ 80 minutes d’échange : « Je donne un grand D (dix) à Carréfoot. Ce sont des gens qui maîtrisent parfaitement l’actualité du foot africain, et leurs abonnés posent des questions vraiment intéressantes. » Il ajoute : « Arriver avec un média français qui parle de tout, qui aborde les vrais sujets et informe à la fois la diaspora et les pays africains, c’est vraiment top. Je souhaite gros succès à Carréfoot. »