Gouvernance du football sénégalais : modèle africain ou exception difficile à reproduire ?

Lors d’un webinaire organisé le lundi 11 août 2025, plusieurs acteurs et observateurs du football africain ont échangé sur la gouvernance du football sénégalais. Entre bilan de l’ère Augustin Senghor, analyse des récentes élections et comparaison avec d’autres pays, les intervenants ont dressé un portrait nuancé d’un système souvent cité en exemple sur le continent.

Le Sénégal brille depuis plusieurs années sur la scène internationale, notamment entre 2022 et 2023, années marquées par des succès majeurs. Mais derrière les victoires, c’est la gouvernance de sa fédération qui suscite l’intérêt. Est-elle vraiment un modèle à suivre pour l’Afrique ? Autour de Stéphane Ahoa et Augustin Gbemenou, animateurs du webinaire, Jacques Pekemsi, Saikou Seydi, Moustapha Sadio et Abdel Abou Coulibaly ont confronté leurs points de vue.

Avis sur la gouvernance du foot sénégalais

Pour Saikou Seydi, la gouvernance du football sénégalais « a fait ses preuves » et s’inscrit dans un processus que d’autres pays connaissent : « Le comité de normalisation entre 2008 et 2009 a été un tournant. Son président, Augustin Senghor, est devenu ensuite président de la fédération et l’a dirigée pendant seize ans de mains de maître. »

Avant cette période, rappelle-t-il, le Sénégal n’était pas présent sur les grandes compétitions. Sous Senghor, la fédération a gagné en stabilité, tissé de solides relations avec les autorités locales et construit une autonomie financière.

Jacques Pekemsi confirme que ces résultats sont le fruit d’un travail de longue haleine : « Pourquoi le Sénégal gagne ? Parce qu’il y a eu du travail en amont. Le Togo, par exemple, devrait s’en inspirer. »

Abdel Abou Coulibaly, observateur extérieur, partage cet avis : « Le football sénégalais est un modèle. Le Mali fait des efforts mais reste en retrait. La Côte d’Ivoire est en train de mettre en place un modèle avec de gros changements. »

Élections : la surprise Abdoulaye Fall

Les récentes élections à la Fédération sénégalaise ont marqué un tournant. Pour Moustapha Sadio, « c’est une surprise » : le nouveau président, Abdoulaye Fall, est un fonctionnaire du Trésor public, propriétaire d’un club de deuxième division (AS Bambé). Peu connu du grand public, il était pourtant omniprésent dans les événements sportifs, parrainant et finançant presque toutes les ligues régionales. « En contrôlant les ligues régionales, il avait déjà le contrôle des élections », explique Sadio.

Abdel Abou s’attendait à une autre issue : « Je pensais que ce serait Amadi Touré, qui a plus de reconnaissance. Certains soupçonnaient de la corruption, mais je crois que Fall saura diriger la fédération. »

Jacques, lui, salue « l’alternance », essentielle selon lui pour insuffler une nouvelle énergie : « Au Togo, le président est à son troisième mandat, et le championnat reste amateur. L’alternance est un atout pour avancer. »

Faut-il élargir le corps électoral ?

La question de l’ouverture des élections à un public plus large divise peu : Sadio estime que ce serait « compliqué à gérer » et que les votants actuels représentent déjà un large spectre du football. Jacques renchérit : il ne faut pas élargir, mais s’assurer que les électeurs soient « représentatifs et conscients des enjeux ».

Bilan de l’ère Augustin Senghor

Saikou reconnaît de nombreux mérites à l’ancien président : « Longévité, stabilité, trophées, bonnes relations avec les autorités, autonomie financière… » Sous son mandat, le Sénégal est devenu favori sur les grandes compétitions. Mais il pointe aussi des limites : « Manque de transparence financière, entourage peu compétent, communication et marketing insuffisants. On n’arrive pas à vendre notre équipe. »

Moustapha Sadio complète le portrait positif : Senghor a su attirer et conserver des binationaux, institutionnaliser la logistique et renforcer la structure interne.

L’écart entre l’équipe nationale et les clubs

Si les Lions de la Teranga brillent, les clubs sénégalais peinent sur la scène continentale. Pour Abdel, c’est « déplorable » : manque de moyens, départs précoces des jeunes talents, et « trop d’histoires familiales » dans la gestion. Il plaide pour une nouvelle politique, plus d’investissement et une implication du secteur privé.

Jacques souligne que « les centres de formation et clubs visent avant tout à vendre leurs joueurs », ce qui empêche de bâtir des effectifs compétitifs à long terme.

Moustapha décrit une réalité économique fragile : salaires moyens autour de 120 000 FCFA, rares joueurs à 500 000 francs CFA, absence de sponsors, peu de projets solides, championnats qui n’attirent pas le public.

Pourquoi Abdoulaye Fall s’intéresse au Maroc

La visite récente d’Abdoulaye Fall au Maroc n’est pas anodine, selon Saikou Seydi. Le royaume chérifien est considéré comme l’un des modèles les plus avancés du continent en matière d’infrastructures sportives, d’organisation fédérale et de professionnalisation des clubs. « Le Maroc est en avance en termes d’infrastructures et d’organisation au sein de la fédération. Fall y était sûrement pour essayer de travailler et tisser des relations avec le Maroc », explique Saikou. Ce déplacement pourrait s’inscrire dans une volonté de s’inspirer des méthodes marocaines, que ce soit pour le développement des centres de formation, la structuration des ligues ou l’amélioration des compétitions nationales. L’objectif affiché serait de mettre en place, au Sénégal, un cadre de travail moderne et performant, capable de soutenir une progression durable du football local.

Le défi des compétitions africaines

Les clubs ouest-africains, et en particulier sénégalais, peinent à franchir les tours préliminaires des grandes compétitions continentales comme la Ligue des champions et la Coupe de la Confédération. Abdel Abou Coulibaly identifie deux leviers essentiels : « Il faut retenir nos joueurs talentueux et injecter beaucoup d’argent pour les mettre dans de bonnes conditions. » Les départs précoces vers l’Europe affaiblissent les équipes avant même qu’elles puissent se construire un collectif solide. De plus, les clubs manquent souvent de moyens pour se préparer correctement et rivaliser avec les formations d’Afrique du Nord ou d’Afrique australe, mieux dotées en infrastructures et en financements. Renforcer la compétitivité passe donc par un investissement stratégique, une meilleure gestion des effectifs et une volonté politique claire de valoriser les championnats locaux.

Ce que le Togo peut apprendre

Le Togo accuse un retard structurel considérable. « Le championnat est toujours au niveau amateur », souligne Jacques Pekemsi. Les clubs togolais n’ont pas de véritables centres de formation et peinent à faire progresser leurs joueurs. Pour rattraper ce retard, Jacques préconise une organisation plus professionnelle de la fédération, avec une structuration claire des ligues et des compétitions. Il insiste aussi sur la nécessité de mobiliser des passionnés capables de bâtir une base solide pour le développement du football. Attirer des sponsors, rendre le championnat attractif pour les joueurs comme pour les supporters et créer un environnement propice à la performance sont, selon lui, des priorités. Le modèle sénégalais, fondé sur la stabilité institutionnelle et un travail de fond, peut servir de feuille de route au Togo.

La communication, talon d’Achille du Sénégal

Si le Sénégal est salué pour ses succès sportifs et sa gouvernance, sa communication reste un point faible, comme le souligne Moustapha Sadio : « Sur la communication et l’attraction des sponsors, on en est très loin. » Cette faiblesse se traduit par un manque de visibilité médiatique pour les compétitions locales et une difficulté à séduire les investisseurs privés. Les opportunités de valorisation de l’équipe nationale, pourtant auréolée de titres, sont insuffisamment exploitées. Les clubs, eux aussi, peinent à se promouvoir et à établir une identité de marque forte. Pour y remédier, il faudrait développer des stratégies marketing modernes, s’appuyer sur les réseaux sociaux, renforcer la présence dans les médias et mettre en place une politique claire d’engagement avec les supporters et les partenaires commerciaux.

Le football sénégalais offre l’image d’une gouvernance stable, structurée et performante, capable de hisser l’équipe nationale au sommet. Mais les témoignages des intervenants rappellent que ce modèle présente aussi des failles Le Sénégal reste, malgré tout, une source d’inspiration. Mais comme l’ont souligné plusieurs participants, reproduire ce modèle exige un travail de fond, une organisation solide et une vision claire à long terme.

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